École et éducation

par Marianne Haslev Skånland, professeur d'Université
Traduit par Micheline Grundt, cand.philol., lexicographe
 
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Marianne Haslev Skånland est professeur de linguistique à l'Université de Bergen (Norvège). Elle est été aussi vice-présidente du NCHR.

La version norvégienne de cet article se trouve sur Internet,
NKMR, section des articles en langues scandinaves.

L'article a été publié, en deux versions légèrement différentes, dans des journaux norvégiens; une est parue dans "Valdres", quotidien de la vallée de Valdres en Norvège de l'Est, le 7.11.1995, l'autre dans " Bergenavisen", un des quotidiens de Bergen, sur la côte Ouest, le 9.11.1995.

En réponse, un article désapprobateur, écrit par un professionnel de l'éducation, parut dans " Bergenavisen" le 23 novembre 1995. La réplique de M. Skånland, "Enseignants et parents", fait suite ici à "Ecole et éducation". Les dernières lignes avaient été censurées par "Bergenavisen".
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La vie est dure à l'école ces temps-ci, avec toute cette violence des jeunes et cette mauvaise conduite. Au Syndicat des instituteurs norvégiens, on accuse les crédits insuffisants et les classes trop nombreuses ("Bergenavisen", 5.11.1995). Pourtant les classes ne sont pas plus nombreuses que dans mon enfance il y a 40 ans, au contraire. Une de nos femmes politiques est plus près du bon diagnostic quand elle réclame une collaboration efficace entre l'ensemble des parents et l'école.

Le 1.11. le même journal publiait déjà un grand article sur le même thème. Dans cet article trois pédagogues repoussent avec force l'idée de recourir au renvoi, à la retenue et autres vraies sanctions. Ils affirment que ces méthodes d'autrefois n'ont plus d'efficacité. C'est peut-être vrai, mais pourquoi? Ces pédagogues ne proposent rien de concret, seulement des phrases creuses, des boniments selon lesquels "il est mortellement dangereux d'esquisser des solutions standard à des problèmes de comportement". Ils concluent en soutenant que la responsabilité de la conduite des enfants n'incombe pas seulement à l'école; c'est avant tout aux parents qu'elle incombe.

C'est aussi aux parents que le journal "Valdres" attribue toute responsabilité dans son commentaire sur les efforts des "oiseaux de nuit" (adultes qui patrouillent la nuit dans les rues pour essayer de prévenir la violence des jeunes). Sous la rubrique "En bref", le 27 octobre, nous lisons: "Mais l'attitude de ceux qui se plaisent à détruire, les oiseaux de nuit ne peuvent pas la changer. Faire l'éducation des enfants est et reste la tâche des parents."

Très juste. Mais, alors, c'est la société qui doit rendre possible cette éducation des enfants par les parents. Depuis plusieurs générations des groupes considérables, dans les professions qui s'occupent principalement des enfants des autres, font tout pour saper l'autorité des parents et leur droit d'éduquer eux-mêmes leurs enfants. Les soi-disant experts nous répètent: "L'avis des enfants est tellement important."; "les enfants doivent avoir le droit de vote"; "nous devons les comprendre"; "les 'besoins des enfants doivent tout primer"; "les parents ne sont pas assez informés au sujet des enfants, la compétence professionnelle leur manque"; - - - La propagande officielle moud sa rengaine, relayée par nombre de travailleurs sociaux diplômés, d'éducateurs et de psychologues.

Notons, par exemple, qu'une expression comme "problèmes de comportement" commence par mettre les choses à l'envers. Les enfants et les jeunes qui se conduisent mal créent un problème pour les autres, c.-à-d. nous. A eux-mêmes ce comportement ne pose, à l'évidence, aucun problème que nous devrions "comprendre" à toute force. Ils manquent d'éducation. Mais cette notion "faire l'éducation", que "Valdres" emploie correctement, elle n'existe pratiquement plus dans le vocabulaire de ces "experts es enfants". Leur formule, c'est "poser des limites" à l'activité des enfants.

Mais ce sont deux notions différentes. "Poser des limites" suppose que les jeunes vont être capables de maîtriser leur développement, et cela de leur propre initiative; tout ce que les adultes ont à faire c'est de les arrêter dans leurs activités les plus sauvages. "Eduquer" c'est donner aux enfants une culture, un sens de la vie, leur apprendre qu'il existe des normes, des points de vue différents, leur faire comprendre qu'on n'est pas pas le centre de l'univers et qu'il faut sans cesse tenir compte des sentiments et des besoins des autres; c'est leur fournir une règle de vie intelligente, ce qui conduit à l'autodiscipline.

En outre, même quand il s'agit de marquer les limites, les soi-disant experts trahissent les parents autant que faire se peut. Voici trois exemples pris dans la réalité.

1)
Dans un district proche de Bergen il est de mode, parmi les jeunes, d'aller présenter ses problèmes au psychologue du service pédago-psychologique. Les "problèmes" sont, bien entendu, d'une espèce fort normale: "Je pense que..., je sens que..., je compte pour du beurre..., on casse ma confiance en moi..., Papa et Maman ne me comprennent pas..., on ne me permet pas de...".

Un des résultats de ce genre d'entretien est que les adultes, en encourageant un jeune esprit à s'hypnotiser sur soi-même, contribuent au développement d'un égocentrisme néfaste. Mais il y a un côté plus grave, ce sont les activités du psychologue en question. Un exemple: Une adolescente de 14 ans veut aller à une boum débridée. "Non", dit sa mère, "je ne veux pas que tu ailles à ce genre de beuverie et que tu ne reviennes qu'au petit matin." L'adolescente va se plaindre au psychologue. Il lui conseille de redemander la permission et lui fournit les arguments à employer contre les objections de sa mère! La réponse reste non. Le psychologue a rédigé alors un rapport aux autorités chargées de la protection des jeunes (!), un rapport où il affirme que cette mère a des difficultés à poser des limites pour sa fille!

Non, cette mère - et des millions d'autres parents - n'ont aucune difficulté à poser des limites à la conduite et aux activités de leurs enfants. Mais c'est quand il s'agit de faire respecter ces limites par leurs enfants qu'ils se heurtent à de grandes difficultés, et cela à cause des "experts" qui, de l'extérieur, leur mettent des bâtons dans les roues.

2)
La mère de Karin, une adolescente suédoise, veut empêcher sa fille de gâcher sa vie. L'enfance de Karin a été normale et sans problème. Vient l'adolescence et sa rébellion. A 15 ans Karin quitte la maison pour se joindre à une bande de jeunes qui se mêlent de distillation clandestine et commettent divers autres petits délits. Tous ces jeunes sont à la garde des services suédois de la Protection de l'enfance, c.-à-d. qu'ils habitent dans un "foyer d'accueil" d'un genre qui existe aussi en Norvège - - on n'a pas oublié en Norvège le cas du garçon que la Protection de l'enfance a maintenu, durant des années, dans différents "foyers d'accueil" du district de Hamar; ce garçon devint l'un des meurtriers d'un passager du ferry de Stena. - - Dans le foyer suédois, les autorités dépensent des millions (oui, des millions) pour financer une vie de cocagne: les jeunes obtiennent tout objet de luxe à leur fantaisie, et ils font ce qui leur plait. Dans l'ensemble, ils fainéantent. Bref, le régime voulu pour qu'ils ne bougent pas du foyer d'accueil.

C'est là que la jeune Karin veut vivre. Sa mère sollicite l'appui du personnel de la Protection de l'Enfance pour reprendre Karin chez elle. Ah mais non! Au total 30 personnes, appointées par cette même Protection, se sont affairées à "élucider" le cas Karin et à écrire des rapports approfondis et volumineux sur son conflit avec sa mère. Ces personnes estiment, bien entendu, que ce conflit résulte d'un "délaissement psychique" imputable à la mère, et que Karin a grand besoin de soins et de protection. Aussi décident-elles que Karin habitera désormais au foyer d'accueil afin d'y recevoir leur type de "traitement socio-psychologique".

3)
Un garçon de 6 ans dans le Télémark (Norvège de l'Est) a été retiré à sa mère par la Protection de l'enfance. Sans aucune raison valable, selon l'usage de nos autorités. Il a été placé dans un lointain "foyer d'accueil psycho-social" et on empêche sa mère de le visiter et de le protéger. Ce foyer au "milieu stimulant" héberge plusieurs autres garçons pris en charge et, parmi eux, quelques durs à cuire de 14 à 16 ans qui menacent le petit garçon en termes bien clairs : "Ici c'est nous les chefs, et tu vas nous obéir, sinon ...!

De tout temps, dans toutes les sociétés, beaucoup de jeunes ont été désobéissants, entêtés, insupportables, déchaînés même à l'occasion, et les parents ont eu toutes les peines du monde à les tenir en main tout en les protégeant. Tout ceci est naturel, les êtres humains étant biologiquement ce qu'ils sont. Une société normale et saine ne tient pas les parents responsables de toutes les difficultés, mais bien plutôt soutient l'autorité des parents et leur rend possible l'éducation de leurs enfants tout en favorisant - et non en détruisant - les liens d'affection entre parents et enfants.

Notre société psycho-socio-pédagogique, par contre, s'est arrogé le droit des "poseurs de limites" et empêche efficacement les parents d'aider eux-mêmes leurs enfants. On se demande pourtant comment ces experts peuvent imaginer qu'on peut éduquer des enfants tout en leur mentant et en les empêchant de rencontrer ceux qu'ils aiment.

Les résultats, nous les avons sous les yeux.

Tous les parents, il est vrai, n'essaient pas de donner à leurs enfants une véritable éducation. Un bon nombre s'est laissé égarer par ces mêmes "experts en éducation" aujourd'hui impuissants devant les comportements qu'ils ont contribué à créer. Mais beaucoup de parents essaient vraiment, et c'est pour découvrir alors que la société les traite comme les personnes les moins importantes dans la vie de leurs enfants. Des enseignants dignes de ce nom essaient aussi. Ils vont devoir affronter leurs collègues et l'idéologie de leur collègues pour une mise au point urgente.

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Enseignants et parents


par Marianne Haslev Skånland


Gunnar Hagen, membre du Syndicat des enseignants norvégiens, estime ("Bergenavisen", 16.11.05) que je rejette sur l'école toute la responsabilité du mauvais comportement des enfants et des jeunes. Il ferait bien de relire mon article.

Ce que le Syndicat des enseignants a à proposer, c'est, semble-t-il, davantage d'argent et de bavardage - des crédits et du personnel socio-pédagogique pour enregistrer, discuter, élaborer des plans d'action, recenser et dénoncer les "situations suspectes", et, en plus, apprendre aux parents à enregistrer, à bien écouter et à assurer le suivi. Mais n'est-ce pas précisement ce qu'on a fait depuis 40 ans? L'état actuel des choses ne porte pas à y voir la bonne solution. Bien au contraire, il faudrait que des enseignants doués de bon sens décident de combattre activement cette conception matérialiste et mécaniste-déterministe des gens et de leur comportement.

Gunnar Hagen souhaite une collaboration avec les parents. Parfait. Mais alors il faut cesser de faire la leçon aux parents en prétendant savoir tout mieux qu'eux, ou bien de les briser eux et leurs enfants, en dépouillant les parents de leur légitime autorité pour donner cette autorité à des intrus, compétents seulement dans diverses philosophies tordues.

Hagen ne dit pas un mot du massacre tragique des familles, massacre que notre Etat-providence commet si souvent aujourd'hui par l'intermédiaire de représentants hyperactifs des professions à caractère social mais aussi à caractère pédagogique. Du personnel qualifié. Des gens à la compétence reconnue. Des experts.

C'est là ce que développait mon article.


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